Ces dernières semaines, nous avons assisté à une série de manifestations et d’événements violents impliquant la participation de groupements politiques radicaux. Les plus médiatisés ont été la manifestation d’extrême-droite contre le déboulonnage de la statue du général sudiste Robert E. Lee à Charlottetown en Virginie le samedi 12 août 2017 et, plus près de nous, le défilé contre l’immigration illégale de La Meute dans la capitale nationale le dimanche 20 août 2017. Ces deux événements ont été perturbés par des contre-manifestations organisées par la mouvance d’extrême-gauche Antifa, luttant contre le racisme et le « fascisme ». Dans cet article, nous désirons présenter les dangers qui pèsent sur nos sociétés dans la manière de couvrir les événements par les médias, comment l’usage de la violence est légitimé de façon outrancière par les mouvements de pression, quelles sont les incohérences fondamentales des principaux acteurs concernés, ainsi que quelques suggestions pour éviter la banalisation de la violence et favoriser le dialogue rationnel dans un futur proche.
La couverture médiatique
Concernant les événements tragiques de Charlottetown, il est manifeste que les médias ne sont pas impartiaux. Le fait que le président des États-Unis, peu importe ce que l’on pense de l’individu, dénonce la violence des deux côtés est tout à fait normal. La violence se doit d’être dénoncée de manière inconditionnelle par les représentants politiques, le contraire serait d’ailleurs fort inquiétant. Or, la vaste majorité des médias ont tenté d’instrumentaliser cette sortie tout à fait légitime comme un soutien tacite du président au meurtre désolant de la dame heurtée par la voiture-bélier perpétré par le suprémaciste blanc James Alex Fields.
L’article le plus important sur le sujet au Québec, paru dans Le Devoir le 19 août et rédigé par le journaliste Stéphane Baillargeon, va dans le même sens. La stratégie médiatique est de nier l’existence d’une extrême-gauche organisée aux États-Unis et de relativiser, voire légitimer, sa violence, contre les groupes d’extrême-droite. En effet, dans cet article, on fait appel au « spécialiste » Graham G. Dodds, professeur de science politique à l’Université Concordia. Ce dernier nous invite à penser qu’il s’avère ridicule de croire qu’une gauche existerait aux États-Unis : « Juste parler de la gauche aux États-Unis me semble presque une blague, dit Graham Dodds. Nous avons ces libéraux d’Hollywood et des manifestations sur les campus. Mais il n’y a pas de gauche organisée. Alors, de l’extrême-gauche ? Voyons donc. »
Cette affirmation relève soit du mensonge, soit de l’ignorance. Tout le monde qui s’intéresse au phénomène de la montée des mouvements extrémistes, de part et d’autre, depuis le début du mandat Trump, reconnaît aisément qu’il existe effectivement une extrême-gauche organisée, parallèle à la montée en puissance de la droite alternative (alt right), utilisant les médias sociaux de manière aussi efficace que leurs opposants politiques, valorisant l’intimidation et la violence comme outil de lutte, et s’avérant apte à mobiliser un grand nombre d’individus motivés rapidement, en plusieurs endroits du pays. Nous nous demandons bien sur quelle planète professeur Dodds demeure pour nier la présence importante des groupes Antifa ces derniers mois, notamment lorsqu’en février l’invitation du militant de la droite alternative Milo Yiannopoulos est violemment perturbée sur le campus de l’Université de Californie, ce qui mènera à plusieurs batailles rangées dans les rues de Berkeley au printemps suivant entre les groupes radicaux de droite et l’Antifa, ou encore, en avril dernier à San Jose lorsque plusieurs jeunes sont battus dans la rue parce qu’ils portent des effigies de soutien à Trump, puis à Portland au début de juin, etc.
Bien qu’il soit tout aussi imprudent de crier à la guerre civile, nier ces événements, ainsi que l’influence grandissante de l’Antifa, s’avère tout à fait déraisonnable. Dénoncer cette violence outrancière et cette stratégie politique contre-productive est nécessaire et légitime, comme l’affirme le linguiste et militant anarchiste Noam Chomsky, dans une sortie qui a fait un buzz dans les médias sociaux suivant les événements de Charlottetown, stipulant que l’Antifa est mauvais dans ses principes, qu’elle est contre-productive et qu’elle représente un cadeau majeur pour la droite radicale. Effectivement, le fait que les médias minimisent l’influence et la violence de l’Antifa alimente la droite alternative, dont un des slogans centraux est la dénonciation des fausses nouvelles (fake news).
Violence légitime
En plus de minimiser l’importance des actions de l’Antifa, on voit circuler dans les médias, officiels et alternatifs, une tendance à légitimer la violence de ce groupe contre les sympathisants de la droite alternative. En effet, le 23 août dans Le Devoir, nous pouvons lire le candidat à la maîtrise en science politique Hadrien Chénier-Marais poser la question : « Est-ce correct de frapper un néonazi ? » Bien qu’il ne réponde pas ouvertement par l’affirmative, il n’en demeure pas moins qu’il considère que le débat reste ouvert et que « la question mérite d’être posée ». De manière plus tranchée, dans La Presse du 25 août, des militants Antifa affirment que la violence contre l’extrême-droite est légitime et qu’elle est même plus stratégique que la destruction de la propriété (qui, d’ailleurs, a été longtemps le mot d’ordre de l’extrême-gauche au Québec jusqu’à maintenant).
Cette justification de la voie de fait sur des individus en chair et en os se base sur deux critères : la lutte moralement bonne et la légitime défense. En effet, l’antiracisme est à la mode, ce qui est fondamentalement une bonne chose, et on fait appel à ce slogan pour justifier n’importe quel comportement et ostraciser n’importe qui ayant des opinions intempestives ou jugées telles, ce qui est fondamentalement une bien moins bonne chose. En effet, aujourd’hui, on ne peut plus critiquer ni l’idéologie immigrationniste, ni le multiculturalisme, ni favoriser un protectionnisme, s’en se faire systématiquement traiter de raciste et, ainsi, recevoir l’anathème public, justifiant du coup un traitement populaire outrancier. Or, aucune idéologie n’est absolument bonne en soi et cette tendance à naturaliser, et moraliser, l’idéologie dominante (libéralisme, multiculturalisme, immigrationnisme, etc.) est foncièrement dangereuse ; cette tolérance de façade est la mère d’une intolérance réelle exubérante. De plus, cette naturalisation de l’idéologie alimente la droite alternative, car elle supporte l’idée que celle-ci combat la « pensée unique ».
De plus, appeler à la violence contre l’extrême-droite, sous prétexte d’une attaque préventive, est un discours de va-t’en-guerre et de têtes brûlées qui justifie les pires atrocités au nom de la légitime défense préventive. Cette rhétorique pathétique est l’adage des néoconservateurs et nous a donné l’Afghanistan, l’Iraq, la bande de Gaza, la Libye, la Syrie et j’en passe. Au final, cette justification de la violence ne fait rien d’autre qu’alimenter la violence du parti adverse et contribue au nivellement brutal et absurde du débat politique à une banalisation du combat de rue insensé et funeste.
L’Antifa est un poison au sein de la gauche militante, à l’instar du suprémacisme blanc au sein de la droite alternative. Ces deux tendances violentes et extrémistes, bien qu’étant minoritaires de part et d’autre, tuent le dialogue rationnel dans une spirale de violence barbare, juvénile et puérile. Dans une société libre, il est légitime de remettre en question le capitalisme et le néolibéralisme, tout comme il l’est de critiquer le multiculturalisme et l’immigration de masse. Justifier l’usage de la violence « légitime » contre les opposants politiques en essentialisant notre propre positionnement politique est une aberration, dont tous les collaborateurs sont coupables.
Le fascisme de l’antifascisme
Qu’est-ce que le fascisme ? Le fascisme est la doctrine selon laquelle on favorise l’utilisation de l’intimidation et de la violence pour faire avancer nos idées politiques et faire taire l’opposition. Or, c’est exactement ce que valorise l’Antifa comme stratégie politique. Ainsi, l’Antifa est un groupe fasciste et ne se distinct guère ainsi de la pire racaille de l’extrême-droite historique. La seule différence est que l’Antifa a actuellement la morale de son côté. En effet, il est difficile de critiquer l’Antifa lorsqu’elle combat la droite radicale, car cette critique risque rapidement de se faire apposer sur le front l’infamante accusation de complicité avec l’ennemi raciste. Ce cercle vicieux est d’une totale limpidité ! C’est la principale raison pour laquelle les médias n’avaient aucun problème à dénoncer la violence du black block contre les Starbucks ou les banques pendant la lutte étudiante au printemps 2012, mais qu’elle hésite tant à le faire aujourd’hui, lorsque la violence touche des personnes civiles, seulement coupables de « délit d’opinion ».
Mais encore, comment peut-on expliquer que les partisans de la tolérance, de l’ouverture des frontières et de l’amour entre les peuples puissent, en même temps, justifier une politique centrée sur la stratégie de blesser autrui pour l’avancement de leur idéologie politique ? Comment peut-on expliquer cette dissonance cognitive fondamentale ? Déjà dans les années 70 en Italie, durant les tragiques « années de plomb », Pier Paolo Pasolini, membre du PCI, avait décelé l’arnaque et l’incohérence du mouvement antifasciste : « Voilà pourquoi une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou, du moins, ce que l’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide, soit prétextuel et de mauvaise foi ; en effet, elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. C’est, en somme, un antifascisme de tout confort et de tout repos. »
Requiem pour un dialogue intelligent, une réconciliation des radicaux et une lutte contre le vrai « fascisme »
Pendant que les moutons s’entre-déchirent, les loups se régalent. Le visage politique en Occident en général, et au Québec en particulier, est triste et désolant. L’identification politique se fait sur des bases de plus en plus grossières et pathétiques (couleur de peau, sexe, religion, etc.) et le débat politique est soit absent, soit frôlant le plancher d’insignifiance, de conformisme et de victimisation. Pendant que la périphérie s’entre-tue pour des bagatelles, combat dans les rues pour des slogans vieillis, moribonds et vétustes, le pouvoir établi, quant à lui, compte les sous, poursuit sa destruction de l’environnement, ses guerres impérialistes partout dans le monde, alimentant déceptions et guerres civiles d’un océan à l’autre et, surtout, riant à gorge déployée dans leurs tours d’ivoire, bien loin de la brutalité populaire dans les rues des villes sous leur joug… Que ceux et celles ayant les oreilles pour entendre dénoncent cette mascarade hypocrite, évitent la guerre de tranchée de la périphérie et canalisent la lutte contre le vrai fascisme : le centre néolibéral anti-humaniste de l’idéologie impérialiste de la mondialisation de la consommation et du spectacle de la marchandise fétichisée.